lundi 19 octobre 2009

L'insoutenable légèreté des mass-médias




Le Centre d'études sur les médias de l'Université Laval vient tout juste de rendre publiques les conclusions d'une analyse  de la couverture de la campagne électorale municipale de 2007, à Québec, par les radios dites d'opinion ("Radio parlée, élections et démocratie"). Les auteurs de cette étude, qui porte sur les trois dernières semaines de la campagne, soit du 10 novembre au 2 décembre 2007, avancent  que le traitement inéquitable infligé à la candidate Ann Bourget pourrait avoir pesé lourd dans les résultats de cette élection remportée par Régis Labeaume.



Dans un premier temps, ils ont observé que la candidate du RMQ avait occupé près de la moitié du temps total d'antenne consacré à la campagne par chacune des stations radiophoniques visées par l'étude. En revanche, celle que les sondages donnaient largement en avance sept jours à peine avant le jour du scrutin aurait fait parler d'elle "de façon négative" les trois quarts du temps sur les ondes de CHOI FM  et celles du FM93, cette dernière station étant devenue, depuis, l'organe radiophonique quasi-officiel du maire.



Dire les choses ainsi, c'est faire emploi d'euphémisme. Ceux qui ont encore en mémoire la teneur des émissions  diffusées  sur les ondes des stations radiophoniques en cause, à cette époque, jugeraient sans doute plus à  propos de parler d'authentiques séances de "bashing". Les entrevues auxquelles a participé la porte-étendard du Renouveau municipal se signalaient notamment par le recours à un ton beaucoup plus hostile et agressif.



Par contraste, les échanges avec le candidat Labeaume, plus amicaux et sereins, étaient davantage empreints de complaisance, les auteurs de l'étude ayant relevé ce qu'ils n'hésitent pas à qualifier de "complicité quasiment gênante" entre les animateurs et ce dernier.




Les signataires de cette étude voient dans ce genre de comportement un accroc évident aux consignes du CRTC et de l'Association canadienne des radiodiffuseurs sur l'attitude qu'il convient d'observer à l'égard des candidats impliqués dans une campagne électorale. La belle affaire ! On peut légitimement se demander si quelqu'un dans cette industrie se soucie encore des règles prescrites par le CRTC, dont les ordonnances sont régulièrement bafouées sans que cela ne semble porter à conséquences. Quant aux balises mises de l'avant par l'Association canadienne des radiodiffuseurs, existe-t-il seulement quelqu'un pour s'y référer, mis à part, peut-être, quelques professeurs d'Université pétris de pieux sentiments, qui n'ont pas encore compris que le monde radiophonique n'en a strictement rien à foutre.



Plus fondamentalement, les chercheurs disent redouter l'impact que cette tangeante prise par les radios dites d'opinion dans la couverture des élections risque d'entraîner sur la bonne santé de notre système démocratique. "Il y a un grave problème de démocratie à Québec", s'est inquiété l'un d'eux.



 La question se pose, en effet. Depuis fort longtemps, à vrai dire. Il y aurait sans doute là matière à réflexion pour le Directeur général des Élections du Québec si cette institution sans consistance n'était à ce point engluée dans l'intendance des processus électoraux. Entre la confection de deux pubs vouées à relancer l'intérêt déficient de la population pour des élections qui ne parviennent plus à mobiliser, le DGE aurait tout avantage à scruter les failles qui minent la crédibilité de la Loi électorale en laissant se perpétuer certains abus.



Il aurait été intéressant que l'analyse des chercheurs s'étende aux deux années qui ont précédé cette élection, peut-être même au-delà. Cela nous aurait peut-être permis de découvrir que la couverture de l'élection à la mairie de 2007 a constitué le point d'orgue d'une campagne de dénigrement systématique du Renouveau municipal de Québec orchestrée bien avant cette date. L'acharnement et l'appel au lynchage public aura finalement fait son oeuvre. Et on se surprendra de la faiblesse de l'opposition à Québec...Signe des temps, la médisance fait maintenant place à un autre phénomène guère plus recommandable, l'idolatrie et le culte de la personnalité.

   

À l'évidence, il ne faut pas trop compter sur les dirigeants des deux radios pointées du doigt pour faire acte de contrition.



Le propriétaire de CHOI (station dont le permis a été retiré par le CRTC, mais qui diffuse toujours en vertu d'un principe qui m'échappe), Patrice Demers, a réagi aux résultats de cette étude par ce qui peut être interprété comme l'équivalant d'un léger haussement d'épaules.  Avouant, avec une candeur et une franchise qui lui font tout de même honneur, que le traitement dans les médias n'est "jamais équitable", il s'est retranché derrière le mandat de ses animateurs pour justifier la situation. On demande à ces derniers d'exprimer d'abord et avant "leur" point de vue, sans avoir à s'encombrer de détails insignifiants comme la préservation d'un minimum d équilibre entre ceux des différents candidats à une élection.



Reconnaissons que cette position a l'avantage d'être limpide. Elle tranche certainement avec la déclaration veule et hypocrite du directeur de la programmation du FM 93, Michel Lorrain, qui a reconnu du bout des lèvres la nécessité de mener une réflexion sur les pratiques de sa station, tout en imputant aux soi-disant lacunes dans le stratégie de campagne d'Ann Bourget la responsabilité ultime de ce dérapage. De quelles lacunes s'agit-il en l'occurence ? J'aimerais bien le savoir...



Bien entendu, nul ne conteste aux animateurs radiophoniques le droit d'avoir leurs propres opinions, au même titre que n'importe lequel citoyen. Là ne se situe pas pas l'enjeu dans toute cette discussion.



Il demeure que ceux-ci ne se retrouvent pas exactement dans la même position qu'un citoyen ordinaire. Ils ont un micro sous le nez. On leur a consenti la possibilité de transmettre leurs vues sur les ondes et ainsi, de les faire partager à des millers de personnes. Cela leur confère un pouvoir et un prestige immenses, inégalables, dont il est difficile de nier ou de négliger la portée, à moins de faire preuve d'inconscience ou pire, d'aveuglement volontaire.



Je ne suis nullement partisan de la censure. Et je ne suis pas particulièrement entiché de remèdes draconiens ou de solutions qui consistent à imposer un carcan trop contraignant aux médias. La protection et la promotion de la liberté d'opinion constituent certes des valeurs fondamentales qui s'inscrivent au coeur des sociétés démocratiques avancées et qui comptent parmi les avantages qu'il nous faut chérir. Mais la liberté d'opinion doit aussi savoir reconnaître ses propres limites et prendre conscience des excès auxquels elle peut donner lieu. L'expérience démontre qu'il arrive trop souvent à la propagande et à la manipulation des masses de fleurir sur le terreau fertile de la liberté d'opinion.



Comme citoyen, je me sens donc légitimé d'attendre un minimum de décence et de probité intellectuelle de la part de ceux qui ont pour mission de m'informer et de me divertir. Cette exigence devrait constituer le prix normal à payer en contrepartie du privilège de diffuser ce que l'on veut, sur les sujets que l'on veut. Il me semble qu'il n'y a rien d'abusif à exiger des bénéficiaires de ce privilège, car c'en est un, de faire preuve d'un peu plus de retenue et de sens des responsabilités. D'autant plus que les ondes, aux dernières nouvelles, relevaient toujours du domaine public.



La philosophe Hannah Arendt (1906-1975), qui a connu en son temps les affres du national-socialisme, avait ses propres vues sur la question. Celle-ci a déjà soutenu que "La liberté d'opinion est une farce si l'information sur les faits n'est pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l'objet du débat". La rigueur des faits, voilà un ingrédient qui, malheureusement,  n'est pas toujours au rendez-vous dans la recette concoctée par les radios dites d'opinion.



Pour ma part, je ne peux m'empêcher de penser que la farce a assez duré.

4 commentaires:

Cédric a dit…

L'affirmation de Hannah Arendt devrait devenir le leitmotiv des salles de nouvelles de nos stations de radio.

Un nouvel exemple probant du penchant des médias pour M. Labeaume est le nouveau clip mis en ligne sur Youtube, un "lipdub" pour dire à quel point ils aiment leur maire. Peut-être cherchent-ils à augmenter leur popularité en "surfant" la vague de Labaumisme qui déferle sur la ville de Québec? Peut-être veut-on le flatter dans le sens du poil pour obtenir des considérations futures? Ou sont-ils tout simplement aveuglé par un maire qui rempli en tout point le modèle québécois de "gros parleur, tit faiseur"? Reste que ce clip démontre que l'indépendance journalistique perd de plus en plus des plumes.

Les médias en général, dans leur analyse du milieu politique, délaissent à mon avis de plus en plus la couverture des enjeux politiques pour se concentrer sur la narration de l'histoire et le culte des personnalités. Les médias sérieux se transforment progressivement en "Allo-police" de la politique.

J'ai une petite suggestion pour brouiller le manichéisme de l'opinion politique au Québec : Régis Labeaume devrait aller faire un tour sur le bateau de Tony Accurso!

Yannick a dit…

Les cheerleaders de Labaume au FM93 avec en tête Sylvain Bouchard et le has been à Gilles Parent me font douter de l'intelligence collective des gens de Québec.Une population tellement facile à manipuler.N'oublions jamais que Québec est la ville où plus de 50,000 personnes ont pris d'assaut les rues de Québec au nom de la liberté de presse avec en tête un autre illustre moron..Jeff Fillion...il m'arrive d'avoir honte de dire ouvertement que je viens de Québec.

Bruno a dit…

Vous avez peut-être oublié que la radio de Québec n'est que l'expression de son auditoire, et non, nous ne voulons pas être politically correct, nous voulons brasser les choses pour qu'elles changent, parce que nous pensons collectivement que le Québec s'en va dans le mur, justement à cause de ces politiciens que nous devons quand même élire. Cessez de faire les hypocrites, la population vous surveille, et la radio est sa seule tribune.

Anonyme a dit…

thanks for sharing this cell phone directory