mercredi 14 octobre 2009

L'appât

Sans doute inspiré par le Directeur Général des Élections (DGE), le président des élections et greffier de la Ville de Québec, Me Sylvain Ouellet, joue d'audace cette année et n'hésite pas à investir près de 200 000,00 $ des fonds de la Ville dans une campagne "punch" destinée à  stimuler l'intérêt des citoyens envers l'exercice démocratique quadriennal auquel on les convie à participer. Et à l'instar du DGE, il mise sur le web pour atteindre la tranche de l'électorat jugée la plus rébarbative, celle des 18-35 ans, qui a la réputation, à juste titre, de ne pas se bousculer à l'entrée des bureaux de scrutin (http://www.voixpourlevote.com/). Il y a lieu de reconnaître qu'il s'attelle à un défi de taille.



Pour sa part, Régis Labeaume, en fine mouche qu'il est, sait bien qu'il faudra davantage qu'une petite campagne de pub, si efficace et bien ficelée soit-elle, pour persuader l'électeur moyen de sortir de sa tanière le 1er novembre prochain. À cet égard, la popularité sans précédant dont il bénéficie toujours lui pose un défi de taille. Personne ne doutant de la réélection du maire sortant, ce qui n'apparaît qu'une formalité, la présente campagne se voit du coup privée de ce qui aurait dû en constituer l'enjeu principal. Dans ces conditions, les citoyens ne seront-ils pas tentés de rester chez eux, bien au chaud ?



Or, Labeaume est conscient que les chances de faire élire un grand nombre de ses fidèles seront directement proportionnelles au nombre de personnes qui useront de leur droit de vote. Il lui faut, en effet, trouver une façon de mobiliser ses aficionados et les inconditionnels de la méthode Labeaume s'il veut surclasser en nombre ces mécontents ou ces tièdes qui se proposent de lui lancer un appel à un peu plus de mesure et de modération en élisant des candidats locaux qui s'engagent à faire preuve d'un minimum d'indépendance et d'esprit critique à son endroit.  Le problème, c'est que si rien n'est fait, le taux de participation promet d'être plus famélique encore que le score navrant de 2007 (46 %). L'ambitieux Président des élections vise, quant à lui, un taux de participant au moins équivalant à celui de 2005 (52 %). On lui souhaite bonne chance de tout coeur. Mais, Me Ouellet vient peut-être de se trouver un allié inespéré en la personne du candidat Labeaume qui a sa petite idée sur la manière dont il faut s'y prendre pour sortir  l'électorat de sa torpeur.



Hier encore, le maire Labeaume se montrait circonspect et frileux chaque fois qu'on abordait avec lui la question du retour éventuel, à Québec, d'une équipe de la Ligue Nationale de Hockey à Québec (LNH). Le dossier lui paraissait alors trop hasardeux et le risque décevoir les attentes de la population, trop grand.



Il en aura mis du temps à se départir de sa réserve initiale. Arborant fièrement un chandail vintage aux couleurs des anciens Nordiques, on le sent maintenant prêt à s'élancer pour saisir à bras le corps un dossier qui évoque, pour beaucoup de gens de Québec, une chance inespérée de prendre une douce revanche sur l'histoire. Les plaies laissées par le départ en douce des Nordiques ne s'étant jamais cicatrisées, il n'existe aucun autre dossier qui soit plus chargé de symbolisme pour une bonne partie de la la population de Québec. Entreprendre de ramener les Nordiques ou une concession de hockey professionnels en Ville, c'est en quelque sorte tenter de conjurer pour de bon le mauvais sort qui s'est trop longtemps acharné sur notre Ville. Et si, d'aventure, il devait réussir, cela lui assurerait en définitive une place de choix au Panthéon des héros du village.



Mais, qu'est-ce qui a bien pu l'amener à cheminer au point de changer son fusil d'épaule ?  Il faudrait être d'une naïveté sans nom pour croire que cette soudaine conversion n'a rien à voir avec la conjoncture politique actuelle.



L'habileté d'un politicien ne se mesure-t-elle pas à sa capacité de générer du rêve, de stimuler l'imaginaire des électeurs désaffectés ? En 2009, il faut savoir que les bonnes vieilles tactiques politiciennes font toujours recette. Les électeurs ne demandent pas mieux que de croire à l'existence d'un pays de Cocagne, pour peu qu'on lui qu'on lui en montre l'emplacement sur une carte, fut-elle esquissée à traits grossiers.



En ramenant à l'avant-scène, à ce stade-ci, le combo nouvel amphithéâtre / résurrection des Nordiques, le maire vient peut-être de mettre le doigt sur cet ingrédient qui lui permettra de donner une nouvelle impulsion à une campagne sans fard. Avec  le soutien indéfectible de ses amis des médias, la tentation sera grande de faire prendre à cette élection un tournant qui lui conférera des allures de plébiscite. Si j'avais à faire une prédiction, je dirais qu'il n'y résistera pas. Eux non plus. Les radios-poubelles, en particulier.








Voilà peut-être ce qui achèvera de convaincre de se rendre aux urnes ceux qui, autrement, n'auraient même pas pris la peine d'en évaluer la pertinence. Ce dossier cartonnera fort, entre autres, chez les 18-35 ans qui, par ailleurs, adhèrent dans une bonne proportion et bien souvent sans la moindre réserve, au style de gestion du Maire. Peut-on imaginer mieux, pour les appâter et les enjoindre à donner un mandat "fort" au maire, que la promesse d'une équipe de hockey professionnel ?



Le maire gagnera-t-il son pari électoral ? Trop tôt pour le dire. Attendons de voir comment il se propose de jouer sa partie.



À terme, cependant,  l'entreprise comporte une part appréciable de risques. Reconnaissons-lui au moins le mérite de se pencher sur un dossier à haut potentiel casse-cou, dont la complexité ne laisse planer aucun doute. Courage ou témérité ?



Ce qu'il a en tête, selon les échotiers, c'est un projet de construction d'un amphithéâtre moderne, couplé d'un anneau de glace couvert et impliquant des investissements qui friseront au bas mot, non plus 250 M $ comme cela avait d'abord été véhiculé, mais 400 M $. Aouch ! Dire qu'à une certaine époque, on faisait des gorges chaudes sur les dépassements de coût du Palais Montcalm, un équipement propriété de la Ville pour lequel elle a déboursé...23 M $.








À combien s'élèvera la contribution de la Ville ? Le privé sera-t-il sommé de faire sa part ?  À combien s'établiront les frais d'exploitation des nouveaux équipements et qui en assumera la responsabilité financière ? S'est-on assuré de la rentabilité du projet et des conditions à rencontrer pour y parvenir ? Mystère et boule de gomme...Rien n'a encore transpiré. Autant de questions auxquelles il faudra pourtant bien trouver une réponse. Depuis le temps qu'on en parle, curieux que personne n'ait songé à réclamer la confection un plan d'affaire. Il est donc plus que temps que quelqu'un mette bon ordre à tout ça pour que l'on sache enfin de quoi il retourne au juste.




Peu importe le scénario retenu, les gouvernements seront sollicités. Même si le projet reçoit un accueil plutôt chaleureux à Québec comme à Ottawa, la route que souhaite emprunter le maire promet d'être semée d'embûches. Je le dis sans ambages, au risque d'être taxé d'éteignoir de concupiscence.



Mine de rien, le maire aura fort à faire pour convaincre le gouvernement du Québec de faire davantage que ce à quoi celui-ci s'est déjà engagé, à savoir un investissement de 50 M $ dans la construction d'un nouvel amphithéâtre et la possibilité de consentir un prêt de 100 M $ à quiconque se montrera intéressé à ramener une équipe professionnelle de hockey à Québec. Pour un gouvernement qui tente désespérément de modérer les appétits de ses employés et qui avise les contribuables qu'ils devront vraisemblablement fouiller plus profond dans leurs poches pour acquitter le coût de certains services publics, le contexte se prête mal à de nouvelles manifestations de prodigalité. Le pain avant les jeux, sera-t-il tenté de répondre aux appels du pied du maire. Soyez sûrs que les "montréalistes" du cabinet, que les exigences incessantes de Labeaume exaspèrent, veilleront au grain.



Idem pour le gouvernement fédéral qui, de son côté, ne s'est même pas commis sur un chiffre, préférant sagement attendre la production d'un plan d'affaires. Reste à voir si l'appui empressé de Josée Verner et l'enthousiasme communicatif  d'un Jean-Pierre Blackburn se traduiront en mise de fonds. Le fait est que le gouvernement conservateur, fort des appuis grandissants qu'il obtient en Ontario et ailleurs au pays, se montrera peut-être moins enclin à délier les cordons de la bourse pour préserver ses maigres acquis au Québec. D'autant que cela ne lui paraît plus aussi indispensable qu'auparavent. Le gouvernement peut maintenant se prendre à rêver d'une majorité parlementaire sans qu'il n'ait à trop se soucier du Québec. Par ailleurs, Labeaume agace de plus en plus certains ténors conservateurs qui trouvent celui-ci bien ingrat.



Dans ce dossier dont les deux volets sont inextricablement liés entre eux, la grande inconnue reste l'attitude qu'adoptera la Ligue Nationale de Hockey (LNH). Gary Bettman, qui a reçu récemment la visite de Régis Labeaume et de Marcel Aubut, ne leur aura pas donné plus que ce à quoi ils pouvaient raisonnablement s'attendre : une écoute polie, une petite tape dans le dos et un encouragement à poursuivre leurs efforts en vue de doter Québec d'infrastructures décentes. Car on comprend qu'il s'agit d'une condition préalable à toute discussion concernant l'implantation d'une équipe de hockey professionnel à Québec.



Si les choses devaient évoluer de façon telle que la ligue en vienne à devoir statuer sur une proposition concrète de transfert d'une concession à Québec, elle voudra savoir ce qu'en pensent les propriétaires des Canadiens de Montréal. Après tout, c'est eux qui auraient à en en subir les contrecoups.



Sans être spécialiste de hockey, j'incline à croire que les Canadiens de Montréal ne sont peut-être pas aussi empressés qu'on ne veut bien le penser de voir renaître de ses cendres la bonne vielle rivalité Québec- Montréal. En effet, la perspective d'avoir à partager les parts du marché québécois avec une équipe qui déménagerait ses pénates à l'autre extrêmité de la 20 ne paraît peut-être pas aussi séduisante, vue du Centre Bell. Évidemment, les dirigeants de l'équipe n'en laisseront rien paraître, de peur de s'aliéner à jamais le marché de l'Est du Québec. Ils se cantonneront dans le silence. S'il se prononcent, vous les entendrez plutôt se gargariser de propos faussement nostalgiques et lénifiants sur le "bon vieux temps", la belle époque où les amateurs se déchainaient sur les lignes ouvertes pour commenter le but refusé d'Alain Côté (lequel était bon, soit dit en passant !).



Il y a probablement loin de la coupe aux lèvres d'ici à ce que la démarche pour ramener une équipe professionnelle de hockey à Québec soit couronnée de succès.



Peu importe quelle en sera l'issue, la manoeuvre du maire lui aura assurément permis de marquer le coup dans sa marche inexorable vers l'obtention d'une majorité au conseil municipal.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Une régal.....bonne analyse....sous plusieurs angles..
la conjoncture politique fédérale n'est évidemment plus la même et la cas Labeaume aura de la difficulté a trouvé écoute à Ottwa..( bienvenur en politique M Labeaume) et le gouvernement provincial, aurait de la dificulté a justifier un investissement ( MTL est un prêt) par les temps qui courent...
Maxime Lapierre, Québec

Anonyme a dit…

Analyse très intéressante et quelque peu "éteigneuse" de concupiscence, en effet LOL

Commentaires de Pierre Boivin, dans le Soleil du 14 octobre, qui laisse échapper un: "Ce ne serait pas constructif de la part du Canadien d'en parler..."...

On sait ce qui s'est passé dans les '1970...

G. Boivin

Fernand se déchaine a dit…

Bonne analyse cher maître...

Régis Gratton Labeaume THINK BIG...

Sa conférence de presse du 16 octobre a manqué totalement d'éthique électorale.

Faut lui donner un chèque en blanc sinon le nouvel amphithéâtre ne se réalisera pas. C'est du chantage...